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et y puisa de l’eau pour ses chameaux, ce qui marque la distance qu’il y avoit entre les chameaux et le puits de sorte que M. Poussin a pu supposer sur un fondement solide que ces animaux avoient été tirés à l’écart comme si la bienséance eût exigé qu’on les eût séparés d’une troupe de filles agréables, surtout dans le temps qu’on alloit contracter un mariage avec une d’entre elles ; ce qui demandoit toute la circonspection et la propreté d’une entrevue galante et polie.

Après que l’historiographe eut fait la lecture de cette dissertation, l’Académie agita si, sur l’exemple de M. Poussin, un peintre pouvoit retrancher du sujet principal de son tableau les circonstances bizarres et embarrassantes que l’histoire ou la fable lui fournissent. — Mgr Colbert ayant été supplié de se prononcer sur cette matière, il s’en défendit longtemps, et dit que ces discussions étoient absolument du fait des académiciens. Dans ce moment, un particulier (M. Coypel) opposa un exemple à celui de M. Poussin, et dit que le Carrache, dans un tableau qui représentoit la Nativité du Sauveur, n’avoit pas fait de difficulté de mettre sur la première ligne de ce tableau un bœuf et un âne qui en occupoient presque toute la largeur, et qui laissoient dans le fond et sur les côtés les principales figures du sujet. Une personne de la compagnie (M. le Brun) répliqua que le Carrache n’étoit pas plus digne d’estime ni d’imitation. Au contraire, il avoit péché contre les règles de la composition, qui ne permettent pas que les plus vils objets d’un tableau étouffent, ou du moins dominent sur les plus nobles, quand même les uns et les autres seroient également nécessaires à l’explication du sujet. Mais, sans aucun contredit, le bœuf et l’âne sont si peu nécessaires dans un tableau de la Nativité, qu’ils y passent pour une pure chimère, sans avoir aucun fondement dans l’Évangile, et tout au plus ils n’y doivent être considérés que comme une allégorie tirée de quelques passages du Vieux Testament. Cette contestation ayant obligé Mgr Colbert à prendre la parole, il dit que, sans prétendre donner aucune décision sur cette matière, sa pensée étoit que le peintre doit consulter le bon sens et demeurer en liberté de supprimer dans un tableau les moindres circonstances du sujet qu’il traite pourvu que les principales y soient expliquées suffisamment.