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Page:Conquête, J.-B.-R Robinet - Dictionnaire universel des sciences morale.djvu/5

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CONQUÊTE.

tre droit des gens étoit exactement ſuivi, & s'il étoit établi dans toute la terre. Quelquefois la frugalité d'une nation conquérante l'a mis en état de laiſſer aux vaincus le néceſſaire que leur ôtoit leur propre Prince. On a vu des États opprimés par les traitans, être ſoulagés par le conquérant, qui ne ſe trouvoit pas dans les engagemens ni les beſoins qu'avoit le Prince légitime. Une Conquête peut détruire les préjugés nuiſibles, & mettre, ſi on oſe le dire, une nation ſous un meilleur génie. Quel bien les Eſpagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains, & par leurs Conquêtes deſtructives quels maux ne leur firent-ils pas ? Je ſupprime les détails ſur les regles de conduite que doivent obſerver les divers États conquérans, pour le bien & la conſervation de leurs Conquêtes ; on les trouvera dans l'illuſtre auteur de l'Eſprit des Loix.

Il y auroit pluſieurs remarques à faire ſur la Conquête conſidérée comme un moyen d'acquérir la ſouveraineié ; je dois encore me borner aux principales.

  1. . La Conquête conſidérée en elle-même, eſt plutôt l'occaſion d'acquérir la ſouveraineté, que la cauſe immédiate de cette acquiſition. La cauſe immédiate de l'acquiſition de la ſouveraineté, c'eſt toujours le conſentement du peuple ou exprès ou tacite : ſans ce conſentement l'état de guerre ſubſiſte toujours entre deux ennemis, & l'on ne ſauroit dire que l'un ſoit obligé d'obéir à l'autre tout ce qu'il y a c'eſt que le contentement du vaincu eſt extorqué par la ſupériorité du vainqueur.
  1. Toute Conquête légitime, ſuppoſe que le vainqueur ait eu un juſte

ſujet de faire la guerre au vaincu ; ſans cela la Conquête n'eſt pas elle-même un titre ſufiſant car on ne peut pas s'emparer de la ſouveraineté d'une nation par la loi du plus fort, & par la ſeule priſe de poſſeſſion comme d'une choſe qui n'eſt à perſonne. Que l'on ne parle point de la gloire du Prince à faire des Conquêtes, ſa gloire ſeroit ſon orgueil ; c'eſt une paſſion, & non pas un droit légitime. Ainſi lorſqu'Alexandre porta la guerre chez les peuples les plus éloignés & qui n'avoient jamais entendu parler de lui, certainement une pareille Conquête n'étoit pas un titre plus juſte d'acquérir la ſouveraineté que le brigandage n'eſt un moyen légitime de s'enrichir. La qualité & le nombre des perſonnes ne changent point la nature de l'action ; l'injure eſt la même, le crime eſt égal.

Mais ſi la guerre eſt juſte, la Conquête l'eſt auſſi car la guerre eſt juſte, ou parce que l'ennemi poſſédoit ce même pays conquis, qui appartenoit à juſte titre au vainqueur ou parce que l'ennemi a refuſé de donner ſatisfaction au vainqueur offenſé ou lézé. Dans le premier cas la Conquête eſt juſte parce que le vainqueur rentre dans ſes droits : dans le ſecond cas elle eſt auſſi juſte parce que le vainqueur la garde, comme un dédommagement de l'inſulte ou de la léſion.

Que faut-il penſer des Conquêtes injuſtes & d'une ſoumiſſion extorquée par la violence ? Peut-elle donner un droit légitime ? Puffendorf liv. VII.