Page:Conrad - En marge des marées.djvu/139

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mots qu’il n’avait pas pu saisir. Mais la distance qui sépare les vivants des morts est si grande. Le pauvre Tom avait essayé.

Byrne courut vers le lit, et essaya de soulever, de repousser cet horrible couvercle qui étouffait le cadavre. Il résista à tous ses efforts, lourd comme du plomb, immuable comme une pierre tombale. La rage de la vengeance le fit s’arrêter, dans sa tête roulaient de chaotiques pensées d’extermination ; il tournait autour de la chambre comme s’il ne pouvait trouver ni ses armes, ni la porte, et il ne cessait de proférer de terribles menaces…

Des coups violents frappés à la porte de l’auberge lui rendirent ses esprits. Il courut à la fenêtre, poussa les volets et regarda au dehors. Dans la faible lueur de l’aube il vit un rassemblement. Eh ! bien, il irait immédiatement affronter cette troupe d’assassins réunis sans aucun doute pour lui faire son affaire. Après cette lutte contre une terreur sans nom, il aspirait à un combat en plein air contre des ennemis armés. Mais il n’avait pas dû retrouver toute sa raison, car, oubliant ses armes, il se rua en bas en poussant des cris sauvages, débarra la porte cependant que les coups pleuvaient du dehors, et l’ayant brusquement ouverte, se précipita à la gorge du premier homme qu’il aperçut devant lui. Ils roulèrent à terre l’un par dessus l’autre. L’intention confuse de Byrne était de se frayer un passage, de courir par le chemin de montagne jusqu’au campement de Gonzales et d’en revenir avec ses hommes pour tirer une vengeance exemplaire. Il se battit furieusement jusqu’à ce qu’il lui sembla qu’un arbre, une maison, une montagne, s’abattaient sur sa tête, puis il n’eut plus conscience de rien…


Ici M. Byrne décrit en détail la manière adroite dont il trouva bandée sa tête endommagée, nous apprend qu’il avait perdu beaucoup de sang et attribue à cette circonstance la préservation de sa raison. Il transcrit également en entier toutes les excuses de Gonzales. Car c’était Gonzales qui, fatigué d’attendre des nouvelles des Anglais, était arrivé à l’auberge, avec la moitié de sa troupe, en route vers la mer. « Son Excellence, expliquait-il, se précipita sur nous avec une féroce impétuosité, et en outre nous ne savions pas qu’il s’agissait d’un ami et alors nous… etc., etc. Lorsque Byrne demanda ce qu’il était advenu des sorcières, Gonzales dirigea son doigt silencieusement vers le sol, puis fit calmement une réflexion morale : « La passion de l’or est impitoyable chez les vieilles gens, señor, dit-il. Il est hors de doute qu’elles avaient dû