n’avait jamais joué de mauvais tours dans sa vie. Elle était pour eux un camarade qui avait sa valeur. Mais les hommes se fatiguaient. Ils n’avaient jamais compris les femmes. Elle supposait qu’il devait en être ainsi.
« Davidson tenta de lui donner un avertissement voilé au sujet de Bamtz, mais elle l’interrompit. Elle savait ce que valaient les hommes. Elle savait ce qu’était celui-là. Mais il s’était attaché à l’enfant. Et Davidson se tut, se disant qu’alors sûrement la pauvre Anne-la-Rieuse ne pouvait plus avoir d’illusions. Elle lui étreignit la main en le quittant.
« C’est pour le petit, Davy, c’est pour le petit. N’est-ce pas qu’il est gentil ?
« Tout cela s’était passé deux ans, à peu près, avant le jour où, assis dans cette même salle, Davidson causait avec mon ami. Vous verrez tout à l’heure comment cette salle se remplit ; il n’y aura plus une place vide, et comme vous le remarquerez, les tables sont tellement serrées que les chaises se touchent presque. La conversation devient bruyante ici vers une heure de l’après-midi.
« Je ne pense pas que Davidson parlait très haut, mais il lui fallait tout de même élever la voix pour se faire entendre de mon ami à travers la table. Et c’est ici que le hasard, le simple hasard fit des siennes en plaçant une paire d’oreilles des plus fines juste derrière la chaise de Davidson. Il y aurait eu dix contre un à parier que le propriétaire des dites oreilles n’avait pas dans sa poche de quoi se payer là un déjeuner. Pourtant il l’avait. Il avait dû, la veille au soir, filouter quelqu’un de quelques dollars en jouant aux cartes. C’était un fameux drôle nommé Fector, petit, sec, gesticulant, le teint coloré et les yeux troubles. Il se faisait passer pour journaliste, comme certaines femmes se donnent pour actrices au banc des accusés en correctionnelle.
« Il avait l’habitude de se présenter aux étrangers comme un homme qui a reçu mission de découvrir les abus et de les poursuivre sans pitié partout où l’on en pouvait rencontrer. Il se donnait aussi des airs de victime. Le fait est qu’il avait été roué de coups, cravaché, jeté en prison et chassé honteusement de presque partout, depuis Ceylan jusqu’à Shanghaï, comme maître-chanteur.
« Je suppose que ce genre d’occupation réclame un esprit éveillé et de bonnes oreilles. Il n’est pas vraisemblable qu’il ait pu entendre