Page:Conrad - En marge des marées.djvu/65

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tion, un élan de confiance. Et presque aussitôt, avec une dignité et un tact parfaits, elle se leva et le laissa seul.

Renouard ne la regarda même pas s’en aller. Ce ne fut pas le déplaisir de la vieille dame qui l’empêcha de dormir cette nuit-là. Il commençait à oublier ce qu’était l’honnête et simple sommeil. Son hamac, apporté du navire avait été pendu dans la vérandah latérale et c’était là qu’il passait ses nuits, étendu les mains croisées sur la poitrine, dans une sorte de stupeur à demi-consciente et oppressée. Au matin, il regardait, sans la voir, la falaise, découpée comme une tache d’encre sur la douce clarté de l’aube, passer par toutes les phases du jour naissant et baigner glorieusement dans l’or du soleil levant. Ce matin-là, il écoutait les vagues bruits d’une maison qui s’éveille, quand tout à coup il remarqua la présence de Luiz, visiblement troublé, près de son hamac.

— Qu’y a-t-il ?

— Tse, tse, tse.

— Eh ! bien, quoi ? Qu’est-ce qu’il y a encore ? Des ennuis avec les boys ?

— Non, maître, mais le monsieur, quand je lui apporte son eau pour le bain, le matin, il me parle…, il me demande quand, quand… je crois que M. Walter, il va revenir…

Le mulâtre claquait des dents légèrement. Renouard sauta du hamac.

— Et il est toujours ici, hein ?

Luiz fit un signe d’affirmation.

— Je ne le vois pas, moi, jamais. Pas moi. Ces boys ignorants disent qu’ils voient… Quelque chose. Ah !…

Il se remit à claquer des dents, recroquevillé, comme si une rafale glacée l’eût atteint.

— Et qu’as-tu dit au monsieur ?

— Je dis que je n’en sais rien et je m’en vais. Je… je n’aime pas à parler de lui.

— C’est bon, nous tâcherons d’exorciser ce pauvre revenant, dit Renouard, d’un air sombre, en allant vers une petite hutte proche pour s’habiller. Il se dit : « Ce garçon finira par vendre la mèche. La dernière chose que je… Ah ! cela, non. »

Et se sentant la main forcée, il comprit l’étendue de sa lâcheté.