Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/152

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prêter plus d’attention à notre présence. Après l’avoir regardé une ou deux minutes nous nous éloignâmes.

— Est-ce vraiment un anarchiste ? demandai-je, une fois hors de portée de l’oreille.

— Je m’en fiche comme de l’an quarante, répondit le jovial fonctionnaire de la B. 0. S. Je lui ai donné ce nom-là parce qu’il me convenait de le désigner ainsi. C’est l’intérêt de la Compagnie.

— De la Compagnie ? m’écriai-je en m’arrêtant court.

— Aha ! triompha-t-il, en levant son museau glabre et en écartant ses grandes jambes maigres. Ça vous épate ? Je me crois tenu à faire de mon mieux pour la Compagnie, qui a d’énormes frais. Tenez ! notre représentant de Horta me dit qu’on dépense 50.000 livres par an rien qu’en réclames, de par le monde. Il ne faut pas lésiner pour le tape-à-l’œil ! Eh bien, écoutez. Quand je suis arrivé ici, il n’y avait pas de vedette de service : j’en ai demandé une tout de suite, et n’ai pas cessé de réclamer par chaque courrier jusqu’à ce qu’on m’en ait donné une. Seulement le bonhomme qu’on avait envoyé avec, nous a lâchés au bout de deux mois, en laissant son bateau amarré au ponton de Horta. Il avait trouvé un poste plus avantageux dans une scierie du fleuve, l’animal ! Et depuis ce temps-là, ça a toujours été la même histoire. Par ici, le moindre vagabond Écossais ou Yankee qui s’intitule mécanicien, vous demande dix-huit livres par mois, et à peine avez-vous eu le temps de vous retourner qu’il décampe, après avoir démoli quelque chose, en général. Je vous donne ma parole que quelques-uns des jean-foutres que j’ai eus comme mécaniciens ne distinguaient pas la chaudière de la cheminée. Quant à celui-là, il connaît son affaire, et je n’ai pas envie de le laisser filer, comprenez-vous ?

Il me donna un petit coup sur la poitrine pour accen-