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Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/20

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Le lieutenant Santierra éclatait d’indignation, mais il hésita. Son beau visage ovale, poli comme celui d’une jeune fille, s’empourpra de la honte de sa perplexité. Il se sentait profondément humilié ; sa jeune lèvre trembla ; il paraissait prêt à un accès de fureur ou à un déluge de larmes.

Cinquante ans plus tard, le général Santierra, relique vénérable des temps révolutionnaires, gardait très nettement le souvenir de ses sensations de jeune lieutenant. Depuis qu’il avait dû renoncer à l’équitation et éprouvait de la peine à sortir de son jardin, la plus grande joie du général était de réunir chez lui les officiers des navires de guerre de passage dans le port. Les officiers anglais de tout grade acceptaient son hospitalité avec curiosité, parce qu’il avait connu Lord Cochrane, et pris part, sur la flottille patriote commandée par ce merveilleux marin, aux opérations du blocus de Callao, épisode de pure gloire dans les guerres de l’Indépendance, et d’honneur infini dans les traditions guerrières de l’Angleterre. C’était un bon linguiste que ce survivant des années libératrices et l’innocente manie qui lui faisait caresser sa longue barbe blanche, chaque fois qu’il hésitait, devant un mot français ou anglais, donnait au ton de ses souvenirs un parfum de dignité placide.