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Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/263

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petit-maître parce qu’il se rasait et mettait une chemise propre les jours de bataille. Il s’était toujours en effet montré très soigneux de sa personne. Chez un homme qui frise la quarantaine, et qui tombe amoureux d’une jeune et charmante fille, ce louable amour-propre peut conduire à de menues faiblesses, telles que la possession d’un élégant écrin contenant un petit peigne d’ivoire et nanti sur le couvercle d’un bout de miroir. De ses mains libres, le général d’Hubert fouilla dans les poches de son pantalon pour chercher cet ustensile d’une vanité innocente, bien excusable chez le possesseur de longues moustaches soyeuses. Il le sortit, puis, avec un parfait sang-froid et une promptitude égale, il se retourna sur le dos. Dans cette attitude, la tête légèrement redressée, et le miroir un peu en dehors du tronc d’arbre, il y louchait de l’œil gauche, tandis que son œil droit s’ouvrait sur ses derrières. Il démontrait de la sorte le bien-fondé de la parole de Napoléon, « que pour un soldat français, le mot impossible n’existe pas ». L’ombre qu’il surveillait remplissait presque le champ de son petit miroir.

— S’il fait un pas, se dit-il avec satisfaction, je verrai forcément ses jambes. En tout cas, il ne pourra pas me tomber dessus à l’improviste.

Et en effet, il distingua bientôt les bottes du général Féraud, qui brillaient une seconde pour disparaître aussitôt, et éclipsaient un instant toute autre image dans le petit miroir. Il changea de position, mais, avant d’adopter au jugé une direction nouvelle, il ne se rendit pas compte que ses pieds et une partie de ses jambes étaient maintenant en pleine vue de son adversaire.

Le général Féraud s’était peu à peu laissé impressionner par l’adresse stupéfiante avec laquelle son ennemi se dissimulait. Il était absolument certain d’avoir, avec une précision meurtrière, touché l’arbre qu’il avait visé. Et pourtant il n’avait pu distinguer le bout d’une oreille. Comme