Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/266

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pour se souvenir des maudits pistolets » comme il le déclara lui-même plus tard, le fait est que le général d’Hubert ne songea pas à se pencher pour les ramasser. Au lieu de revenir sur son erreur, il saisit à deux mains le tronc rugueux et se jeta derrière avec une telle impétuosité qu’il en fit le tour. Une flamme, un coup de feu. Il se retrouva face à face avec le général Féraud qui, complètement déconcerté par un tel déploiement d’agi lité chez un mort, restait tout tremblant. Un léger nuage de fumée volait devant son visage qui prenait un aspect extraordinaire, comme si la mâchoire en eût été déboîtée.

— Je ne l’ai pas raté ? croassa-t-il d’une voix rauque, sortie des profondeurs de sa gorge sèche.

Ce cri sinistre rompit le charme qui semblait paralyser le général d’Hubert.

— Si, vous m’avez raté... à bout portant ! s’écria-t-il, sans avoir encore retrouvé tout à fait ses esprits. Le retour de la conscience s’accompagna chez lui d’une bouffée de fureur homicide, dont la violence était faite de tous les ressentiments accumulés au cours d’une vie. Pendant des années, le général d’Hubert avait été exaspéré et humilié par une absurdité atroce que lui imposait le caprice sauvage de cet homme. Au surplus, d’Hubert avait été, en cette dernière circonstance, trop révolté par l’idée de la mort prochaine pour que la réaction de son angoisse n’affectât pas la forme d’un désir de meurtre. — Et j’ai encore mes deux balles, ajouta-t-il impitoyablement.

Féraud grinça des dents et son visage prit une expression furieuse et implacable.

— Allez-y ! fit-il sourdement.

Telles eussent été ses dernières paroles, si son adversaire eût tenu ses pistolets à la main. Heureusement, les pistolets étaient à terre, au pied d’un pin. D’Hubert eut la seconde de réflexion nécessaire pour songer que