Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/274

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les vêtements de fête du conquérant avant de se précipiter vers la demeure de sa fiancée. S’il n’eût été aussi occupé, le général se fût senti capable de monter à cheval, pour se lancer à la poursuite de son adversaire et l’embrasser, dans l’excès de son bonheur. — C’est à ce butor que je dois tout, se disait-il ; il m’a fait saisir en une heure ce qu’il m’eût peut-être fallu des années pour découvrir, timide imbécile que je suis ! Pas la moindre confiance en moi. Le dernier des poltrons. Et le chevalier ! Ah ! le vieux brave homme ! Le général avait hâte de l’embrasser aussi.

Le chevalier était au lit. Pendant plusieurs jours il fut très mal. Les hommes de l’Empire et les jeunes filles de la Révolution l’interloquaient. Il se leva la veille du mariage, et en curieux qu’il était, emmena sa nièce à l’écart pour causer tranquillement avec elle. Il lui conseilla d’exiger de son mari la véritable histoire de l’affaire d’honneur si impérative et si tenace qui avait failli se terminer pour elle en tragédie. — Il est juste que sa femme en soit informée et, le mois prochain, tu pourras savoir tout ce que tu voudras, mon enfant.

Plus tard, quand le jeune couple vint en visite chez la mère de la mariée, madame la générale d’Hubert rapporta à son cher vieil oncle le récit qu’elle avait obtenu sans peine de son mari. Le chevalier l’écouta jusqu’au bout avec une attention profonde, huma une pincée de tabac, chassa les grains de son jabot, et demanda d’un ton calme :

— C’est tout ?

— Oui, oncle, répondit la jeune femme, en ouvrant très grands ses jolis yeux. C’est drôle, n’est-ce pas ? C’est insensé de songer à ce dont les hommes sont capables !

— Hum ! commenta le vieil émigré. Cela dépend de quels hommes ! Ces soldats de Bonaparte étaient des sauvages. C’est insensé, en effet. En tant que femme,