Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/287

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cercles plus ou moins concentriques, accueillaient imperturbablement les grandes vagues qui allaient se perdre dans l’ombre. Le Comte se mêla à la foule, et se laissa, avec un plaisir paisible, entraîner par elle. Il écoutait et regardait les visages. Tous ces gens appartenaient à la bonne société ; c’étaient des mères avec leurs filles, des groupes de famille, des jeunes gens et des jeunes femmes, qui causaient, souriaient, s’adressaient des signes de tête. Beaucoup de jolis visages et beaucoup de jolies toilettes. Il y avait évidemment nombre de types divers : vieux beaux ostentatoires à moustaches blanches, hommes gros ou décharnés, officiers en uniforme, mais ce qui dominait, c’était le type du jeune Italien du Sud, avec son teint clair et mat, ses lèvres rouges, sa petite moustache de jais, et ces yeux noirs mouillés, si prodigieusement éloquents dans la tendresse ou la colère.

Le Comte se retira un peu à l’écart, et s’assit, devant le café, à une petite table, en face d’un jeune homme de ce type parfait. Notre ami prit une limonade. Le jeune homme regardait d’un air maussade son verre vide. Il leva un instant les yeux pour les abaisser aussitôt. Son chapeau était tiré en avant, « comme ceci... »

Le Comte fit le geste d’un homme qui enfonce son chapeau sur son front, et poursuivit :

— Je me dis : il est triste ; il y a quelque chose qui ne va pas. Les jeunes gens ont leurs ennuis. Je ne m’occupe pas de lui, bien entendu. Je paie ma limonade et je m’en vais.

En se promenant à portée de la musique, le Comte crut voir à une ou deux reprises le jeune homme errer seul dans la foule. Leurs yeux se croisèrent une fois. Ce devait être le même jeune homme, mais il y en avait tant d’autres de ce type, qu’il ne pouvait en être certain. Au surplus, il n’avait de ce visage remarqué que la maussaderie prononcée.