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Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/48

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déplaisante dans la maison vide. La vieille essaya de passer devant nous.

— « Ne laissez sortir personne ! » ordonna le général Robles.

Je poussai la porte, dont j’entendis claquer le pène, et le rire ne parvint plus qu’affaibli à nos oreilles.

Avant que nous eussions pu dire un mot, je fus stupéfait d’entendre un grondement lointain de tonnerre.

J’avais emporté dans la maison l’impression d’une nuit de lune claire, sans l’ombre d’un nuage au ciel. Je n’en croyais pas mes oreilles. Envoyé de bonne heure à l’étranger, pour y faire mon éducation, je n’étais pas familiarisé avec le phénomène naturel le plus redouté de mon pays natal. J’aperçus avec un étonnement inexprimable, un regard de terreur dans les yeux de mon chef. Et tout à coup, je me sentis pris de vertige. Le général tituba lourdement contre moi ; la jeune fille semblait vaciller au milieu de la pièce ; la chandelle lui tomba des mains et s’éteignit ; un cri aigu de « Misericordia ! » poussé par la vieille femme me perça les oreilles. Dans la nuit d’encre, j’entendis le plâtre se détacher des murs. Il est heureux qu’il n’y eût pas de plafond. Je me cramponnai au loquet de la porte, tandis qu’au-dessus de ma tête les tuiles du toit cessaient de grincer. La secousse était finie.

— « Dehors ; la porte ! fuyez, Santierra, fuyez ! » hurlait le général. Dans notre pays, Señores, les plus braves n’ont pas honte d’avouer la terreur qu’un tremblement de terre inspire à tous les hommes. On ne s’y fait pas. Une expérience renouvelée ne fait qu’ajouter à l’horreur de cette épouvante sans nom.

C’était mon premier tremblement de terre, et j’étais le plus calme de tous. Je compris que le craquement venu du dehors était causé par la chute du porche avec ses pilastres de bois et son toit de tuiles en surplomb. La prochaine secousse allait peut-être démolir la maison.