table, et arpenta la pièce en lançant des malédictions, puis il s’assit sur le divan, aux pieds de sa femme, la poitrine haletante, les yeux fixés sur le sol. Elle se tenait allongée, la tête sur des coussins, les paupières mi-closes.
— « Et maintenant, on m’honore comme officier espagnol », conclut-il d’une voix calme.
Le capitaine de la frégate anglaise profita de ce moment pour l’informer doucement que Lima était tombé et que selon les termes d’une convention, les Espagnols abandonnaient tout le continent.
Gaspar Ruiz leva la tête, et sans hésitation, avec une violence contenue affirma que s’il ne devait pas rester un seul soldat dans toute l’Amérique du Sud, il continuerait à mener la lutte contre le Chili jusqu’à sa dernière goutte de sang. Quand il acheva cette folle tirade, sa femme leva sa longue main blanche, et lui caressa le genou, du bout des doigts, une fraction de seconde.
Pendant le reste du séjour des officiers, qui ne se prolongea guère de plus d’une demi-heure après le banquet, ce chef féroce d’une partida de bandits déborda d’amabilités et de bienveillance. Il s’était montré hospitalier jusque-là, mais on eût dit qu’il ne pouvait assez faire pour le bien-être et la sécurité du voyage de retour de ses hôtes.
Rien, me suis-je laissé dire, n’aurait pu présenter contraste plus saisissant avec son accent de violence récente et la réserve taciturne, qui lui était habituelle. Comme un homme particulièrement exalté par un bonheur inattendu, il n’était plus que bienveillance, amabilité et attentions. Il embrassait les officiers comme des frères ; il avait les larmes aux yeux. À chacun des prisonniers relâchés, il donna une pièce d’or. Au dernier moment, il déclara brusquement ne pouvoir faire moins que de rendre aux patrons des bateaux de commerce tous leurs biens particuliers. Cette générosité