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Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/69

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avaient été tués à coups de lance par les gardes du corps indien de Ruiz. Il me reconnut juste à temps pour me sauver la vie. Mes amis me tenaient évidemment pour mort, et je n’aurais pas donné un liard de mes jours. Mais le géant me traita fort bien, parce que j’avais toujours cru à son innocence, me dit-il, et m’étais efforcé de lui venir en aide, quand il était victime de l’injustice.

— « Et maintenant, conclut-il, vous allez voir que je dis toujours la vérité. Vous n’avez rien à craindre. »

Cette sécurité me parut précaire, un soir que je fus appelé près de lui. Arpentant comme une bête fauve la pièce où je le rejoignis, il criait : « Trahi ! Trahi ! »

Il vint à moi, les poings serrés : — « Je pourrais vous couper la gorge ! »

— « Cela vous rendrait-il votre femme ? » demandai-je, aussi placidement que je le pus.

— « Et l’enfant ! » clama-t-il, comme un fou. Il se laissa tomber sur une chaise, éclata d’un rire violent et terrible. « Oh non ; vous n’avez rien à craindre. »

Je lui affirmai que la vie de sa femme était assurée aussi ; mais sans ajouter ce dont j’étais convaincu…, c’est qu’il ne la reverrait jamais. Il demandait une guerre à mort, et la guerre ne se terminerait qu’avec sa mort à lui, en effet.

Il me lança un regard étrange, inexprimable, et resta assis en marmonnant d’un ton monotone ::— « Entre leurs mains ; entre leurs mains ! »

Je me tenais coi, comme une souris devant un chat.

Soudain, il bondit : — « Qu’est-ce que je fais ici ? », cria-t-il, et ouvrant la porte, il lança l’ordre du boute-selle. « De quoi s’agit-il ? » balbutiait-il. « Du fort de Pequeña, un fort en palissade ! Ce n’est rien. Je la reprendrais, même si elle était enfermée au cœur de la montagne ! » Il me stupéfia, en ajoutant avec un effort : « Je l’ai emportée dans mes deux bras quand la