Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/8

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flegme dans un livre de mon enfance ; et je n’entends, pour quiconque au monde, renoncer aux croyances de ce temps-là.

La Brute, seule histoire de mer de ce volume, est un récit comme celui d’Il Conte et enregistre une conviction recueillie toute chaude sur des lèvres humaines. Je ne révélerai pas le nom du navire coupable, mais la première fois que j’entendis parler de ses exploits homicides, ce fut par feu le capitaine Blake[1], commandant un navire de Londres, sur lequel je servais comme second officier. Le capitaine Blake est, de tous mes chefs, celui dont je me souviens avec le plus d’affection. J’ai dessiné son personnage, sans citer pourtant son nom, au début du Miroir de la Mer. Il avait eu maille à partir dans sa jeunesse avec la Brute, et peut-être est-ce cette raison qui m’a fait placer l’histoire dans la bouche d’un jeune homme, et en a fait ce que verra le lecteur. L’existence de la Brute repose sur un fait authentique. Quant à sa fin, telle qu’elle est relatée dans ces pages, elle représente aussi une aventure qui fit quelque bruit à son heure, bien qu’elle soit échue à un autre navire de noble forme et de caractère irréprochable qui méritait certainement un meilleur sort. Je l’ai sans scrupule adapté aux besoins de mon récit,’croyant ainsi exercer une sorte de justice poétique. J’espère que cette petite supercherie ne ternira pas ma réputation de conteur intègre.

De l’Indicateur et de l’Anarchiste, je n’ai presque rien à dire. Leur origine est redoutablement complexe et ne vaut pas, après tant d’années, d’être débrouillée. J’ai trouvé ces deux contes et je les donne ici. Le lecteur perspicace comprendra que je les ai trouvés dans ma tête : comment eux ou leurs éléments y sont parvenus, voilà ce que j’ai presque entièrement oublié ; quant au reste, je ne vois guère de raison de me trahir plus que je ne l’ai fait jusqu’ici.

Et maintenant, il me reste à parler du Duel, la plus longue histoire du livre. Ce conte fut admis à l’honneur

  1. Il s’agit du capitaine E. W . Blake, sous les ordres de qui Conrad servit comme second, à bord du « Tilkurst » du 18 avril 1886 au 7 juin 1886. (Note du traducteur.)