Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/162

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me regarder. Je commençais à avoir très chaud. – « Mais si, je le puis », insistai-je, « je puis même faire davantage ; je fais davantage en ce moment… Je vous témoigne une confiance… » – « L’argent », commença-t-il… – « Ma parole ! vous mériteriez que l’on vous envoie au diable ! » m’écriai-je en forçant la note de mon indignation. Il fut surpris et sourit ; je poussai mon attaque : « Ce n’est pas du tout une question d’argent. Vous êtes trop superficiel ! » déclarai-je, et je me disais en même temps : « Attrape… ! » Mais, après tout, ne l’est-il pas, en effet ? « … Tenez !… Regardez cette lettre dont je voudrais que vous vous chargiez. Elle est adressée à un homme à qui je n’ai jamais demandé de faveur, et j’y parle de vous en termes dont on n’use qu’à l’égard d’un ami intime. Je réponds de vous sans réserve. Voilà ce que je fais… Et vraiment, si vous voulez bien réfléchir un peu à ce que cela implique… »

« Il leva la tête. La pluie avait cessé ; seul, le tuyau persistait à verser des larmes avec un bruit absurde : drip… drip… drip… juste contre la fenêtre. Tout était paisible dans la pièce ; les ombres se groupaient dans les coins, loin de la flamme immobile de la bougie qui montait tout droit, en forme de poignard ; le visage de Jim me parut tout à coup baigné d’une lumière douce, comme si l’aurore se fût déjà levée.

– « Par Jupiter ! » soupira-t-il, « voilà qui est chic, de votre part ! »

« Je n’aurais pas ressenti humiliation plus profonde, s’il m’eût tout à coup tiré la langue, en signe de dérision. Je me dis : « Cela t’apprendra à faire le bon apôtre ! » Ses yeux me regardaient en face, mais je vis que leur lueur n’était pas celle de la moquerie. Il céda tout à coup à son agitation désordonnée, comme un de ces pantins de bois dont on tire la ficelle. Ses bras se levèrent, puis retombèrent bruyamment. C’était un homme nouveau. – « Et je n’avais pas compris », cria-t-il, mais il se mordit les lèvres en fronçant les sourcils. « Quel âne bâté j’ai été ! » fit-il très lentement, avec un accent d’épouvante. « Vous êtes un as ! » reprit-il ensuite d’une voix sourde. Il saisit ma main, comme s’il venait de la voir pour la première fois, mais la laissa aussitôt retomber. « Écoutez ! C’est exactement ce que je… Vous… Je… » balbutiait-il, puis avec un retour à son attitude obstinée, je puis