Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/257

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empressée. – « Mais certainement !… Comment donc… Certainement ! Dites-moi ce qu’il faut faire ! » Mal éveillé encore, il avait pourtant l’impression de se montrer très aimable en des circonstances extraordinaires, et de faire montre d’une bonne grâce certaine et d’un aveugle dévouement. La jeune fille quitta la pièce et il la suivit ; ils dérangèrent dans le couloir une vieille sorcière, préposée dans la maison à la confection des repas de fortune, malgré un état de décrépitude qui l’empêchait presque de comprendre le langage humain. Elle se leva et clopina derrière eux, en marmonnant entre ses gencives édentées. Sur la véranda, un hamac de toile appartenant à Cornélius se balança doucement au contact du coude de Jim. Il était vide.

« Comme tous les postes de la Compagnie commerciale Stein, l’établissement de Patusan comportait primitivement quatre bâtiments. Deux d’entre eux étaient représentés par deux tas de décombres, de bambous brisés et de chaume pourri, sur lesquels les quatre poteaux d’angle en bois dur s’inclinaient tristement l’un vers l’autre. Mais le principal magasin subsistait, en face de la maison du représentant : c’était une hutte oblongue faite de boue et d’argile ; une de ses extrémités comportait une large porte de planches épaisses, et dans un des murs latéraux s’ouvrait une baie carrée, sorte de fenêtre à trois barreaux de bois. Avant de descendre les marches de la véranda, la jeune fille tourna la tête par-dessus son épaule, pour souffler rapidement : – « On devait vous attaquer pendant votre sommeil. » Jim, à l’en croire, éprouva une sorte de déception, c’était donc encore la vieille histoire. Il était las de ces attentats à sa vie ; il en avait assez ; il était excédé de semblables alertes. Il éprouva une véritable irritation contre la jeune fille, comme si elle l’eût trompé : il l’avait suivie avec la conviction que c’était elle qui avait besoin de son aide, et maintenant il se sentait presque envie de faire demi-tour, pour retourner avec dégoût sur ses pas. – « Savez-vous », me dit-il, d’un ton pénétré, « je crois n’avoir pas été moi-même, pendant des semaines, à ce moment-là ! » – « Oh si ! c’était bien vous ! » ne pus-je m’empêcher de contredire.

« Cependant la jeune fille marchait à pas pressés, et il la suivit dans la cour. Toutes les barrières étaient depuis