Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/317

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Tout lui appartient », expliquait Cornélius. – « J’ai idée qu’on pourra l’obliger à partager avant longtemps », commenta Brown à mi-voix. – « Non, non ! Ce qu’il faut, c’est le tuer à la première occasion, et alors vous pourrez faire ce que vous voudrez », insista Cornélius avec énergie. « Voici des années que je vis ici, et c’est un conseil d’ami que je vous donne. »

« L’après-midi se passa en de tels entretiens et dans la contemplation de la ville, où Brown voyait déjà une proie désignée. Ses hommes se reposaient. Ce jour-là, les canots de Dain Waris quittèrent un à un la rive opposée au ruisseau, et descendirent le courant pour couper la retraite des aventuriers. Brown ne savait rien de cette expédition et Kassim, qui gravit la colline une heure après le coucher du soleil, se garda bien de l’en informer. Il voulait que le navire des blancs remontât la rivière, et craignait qu’une telle nouvelle fût de nature à l’en dissuader. Il pressait fort Brown d’envoyer « l’ordre », et offrait un messager de confiance qui, pour plus de sécurité, disait-il, gagnerait par terre l’embouchure du fleuve, et irait porter l’ordre à bord. Après réflexion, Brown jugea intéressant d’écrire ces simples mots sur une page arrachée à son carnet : – « Tout va bien. Grosse affaire. Retenez le bonhomme. » Le messager obtus choisi par Kassim s’acquitta fidèlement de sa mission, et fut récompensé de son zèle en se sentant précipité, la tête la première, dans la cale vide de la goélette, par le pilleur d’épaves et le Chinois, qui s’empressèrent de replacer les panneaux. Ce qu’il advint du pauvre diable, Brown ne me l’a pas dit. »



XL


– « Le but de Brown était de gagner du temps et de berner Kassim, en prêtant l’oreille à sa diplomatie. Pour l’affaire sérieuse qu’il entrevoyait, il sentait, à son corps défendant, que c’était avec le blanc qu’il faudrait travailler. Il ne s’imaginait pas qu’un tel homme (qui devait être joliment fort, somme toute, pour avoir ainsi empaumé les indigènes), pût refuser son aide ; c’en serait fait pour lui, à l’avenir,