et courroucés de Brown, une correction que toutes les tendances de sa vie raillaient et condamnaient.
– « Qui êtes-vous ? » finit par demander Jim, d’un ton posé. – « Je m’appelle Brown », répondit l’autre, très haut ; « Capitaine Brown. Et vous ? » Après un instant de silence, Jim reprit tranquillement, comme s’il n’eût pas entendu : – « Qu’est-ce qui vous a amené ici ? » – « Vous voulez le savoir ? » répliqua aigrement Brown ; « c’est facile à dire : la faim ! Et vous, comment êtes-vous ici ? »
– « Ma question le fit tressaillir », m’expliqua Brown, en me rapportant le début de l’étrange entretien de ces deux hommes, séparés seulement par le lit vaseux d’un ruisseau et qui se trouvaient, en fait, aux antipodes de cette conception de la vie qui englobe toute l’humanité. « Ma question le fit tressaillir, et il devint très rouge. Il se trouvait sans doute trop grand pour être interrogé ! Je lui déclarai que s’il me tenait pour un homme mort avec qui l’on pût prendre des libertés, il n’était pas du tout mieux en point lui-même. Un de mes hommes, là-haut, le couchait tout le temps en joue, et n’attendait qu’un signe de moi pour tirer. Il n’y avait pas là, d’ailleurs, de quoi l’offusquer : il était venu de son plein gré. – « Admettons », dis-je, « que nous soyons morts tous les deux, et causons à égalité, sur ce pied-là. Nous sommes tous égaux devant la mort… » Je reconnus que je me trouvais comme un rat pris au piège, mais nous avions été poussés dans la trappe, et même là, « un rat peut mordre ». – « Pas si l’on reste loin de la trappe tant que le rat n’est pas mort ! » répondit-il, en relevant aussitôt mes paroles. Je déclarai que si pareille façon de faire pouvait convenir à ses amis indigènes, je le croyais trop blanc pour traiter même un rat de la sorte. Oui, j’avais désiré causer avec lui, mais ce n’était pas pour mendier notre vie. Mes compagnons étaient… ce qu’ils étaient…, des hommes comme lui, en tout cas. Tout ce que nous lui demandions, c’était, de par le diable ! de venir vider la querelle. – « La peste vous étouffe ! » criai-je, sans le faire bouger plus qu’un piquet, « vous n’allez pas venir tous les matins avec votre lorgnette voir combien de nous restent sur pieds. Allons, lâchez votre bande d’enfer contre nous, ou laissez-nous filer et crever de faim sur mer, nom de Dieu ! Vous avez été blanc aussi, malgré les grands airs