souvent, et passait de temps à autre une nuit dans cette demeure, où il couchait, selon eux, dans une écurie ouverte sur la cour intérieure.
« Notez cela, Razumov ! Dans une écurie. »
Razumov avait écouté avec une attention passionnée, mais à demi-ironique.
« Oui, dans la paille. C’était probablement, de toute la maison, l’endroit le plus propre. »
« Sans doute », acquiesça la femme avec le froncement marqué des sourcils qui semblait, de sinistre façon, rapprocher ses yeux noirs. « Il n’y a pas de bête qui puisse supporter la crasse et la misère, où tant d’êtres humains sont condamnés à souffrir en Russie. Le point le plus intéressant établi par mon correspondant, c’est la connaissance familière de Haldin et du paysan aux chevaux, individu insouciant, indépendant et libre, qui n’était guère aimé des autres habitants de la maison. On le soupçonnait d’avoir fait partie d’une bande de cambrioleurs, dont certains avaient été arrêtés. Il ne les conduisait pourtant pas à ce moment-là, mais on l’accusait sous main d’avoir donné des renseignements à la police, et… »
La femme s’interrompit tout à coup.
« Et vous ? Avez-vous jamais entendu votre ami parler d’un certain Ziemianitch ? »
Razumov attendait ce nom, et s’était préparé à la question.
« Quand on me parlera de lui, j’avouerai », s’était-il dit. Mais il prit son temps.
« Oui, je crois bien ! » fit-il à voix basse. « Ziemianitch, un paysan qui possédait un attelage de chevaux ! Oui… Une fois… Ziemianitch ! Certainement ! Ziemianitch, l’homme aux chevaux ! Comment ce nom avait-il pu sortir de ma mémoire ?… C’est au cours d’une de nos dernières conversations… »
« Ce qui veut dire… », interrompit Sophia Antonovna, l’air très grave, « ce qui veut dire, Razumov, que c’était peu avant… hein ?… »
« Avant quoi ? » s’écria Razumov, en s’avançant vers la femme, qui parut surprise, mais ne recula point. « Avant… Oh naturellement, c’était avant ! Comment aurait-ce pu être après ?… Quelques heures avant, seulement. »
« Et il en parlait avec estime ? »
« Avec enthousiasme ! Les chevaux de Ziemianitch ! L’âme libre de Ziemianitch ! »
Razumov éprouvait une joie sauvage à proférer, à voix haute, ce