Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/14

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d’un chronomètre au mécanicien qui ne pourrait disposer que d’un marteau de deux livres et d’une scie.

Et cependant ces vies entièrement absorbées par l’actualité la plus simple et la plus immédiate ont leur côté mystérieux. Comment comprendre, dans le cas de Mac Whirr par exemple, quelle influence au monde avait bien pu pousser cet enfant parfaitement soumis, ce fils d’un petit épicier de Belfast, à s’enfuir sur la mer ? Il n’avait que quinze ans quand il avait fait ce coup-là ! Cet exemple suffit, pour peu que l’on y réfléchisse, à suggérer l’idée d’une immense, puissante et invisible main, prête à s’abattre sur la fourmilière de notre globe, à saisir chacun de nous par les épaules, à entrechoquer nos têtes et à précipiter dans des directions inattendues et vers d’inconcevables buts nos forces inconscientes.

Son père ne lui pardonna jamais complètement cette insubordination stupide.

— « On pouvait bien se passer de lui » avait-il coutume de dire plus tard, « mais les affaires sont les affaires… Et un fils unique, encore ! »