Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/146

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min, avec une religieuse sollicitude, tout chagrin et toute émotion triste, et que je te donnais, dans une certaine mesure, tout ce que semblait exiger notre apparente aisance ; tandis que le sourire continuel de mon visage te réjouissait sans cesse, la crainte, l’anxiété, la honte, rongeaient mon cœur à tout instant, et je comptais avec effroi les pas du temps qui me rapprochaient de plus en plus de l’heure fatale. Ah ! Lénora, faut-il te le dire ? J’ai souffert de la faim et soumis mon corps aux plus rudes privations. J’ai passé la moitié de mes nuits à un travail d’esclave, raccommodant mes vêtements, bêchant le jardin, apprenant et exerçant, dans les ténèbres, toutes sortes de métiers afin de cacher notre pauvreté à toi et aux autres.

Mais tout cela n’était rien ; dans le silence de la nuit je n’avais à rougir devant personne. Le jour, il fallait, me roidir sans cesse contre les humiliations, et, le cœur saignant, dévorer l’affront et l’insulte…

La jeune fille contemplait son père d’un œil humecté par les larmes de la pitié. Monsieur de Vlierbecke étreignit sa main pour la consoler, et continua :

— Ne sois pas triste, Lénora. Si la main du Seigneur me faisait de profondes blessures, chaque fois aussi, dans sa miséricorde, il me donnait le baume qui les guérit. Un seul sourire de ton doux visage suffisait pour faire monter de mon cœur vers le ciel une prière de reconnaissance. Toi du moins tu étais heureuse ; en cela ma promesse était remplie.

Enfin, je crus que Dieu lui-même avait envoyé sur notre route quelqu’un qui te sauverait de la misère im-