Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/102

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Ceux-là sont partisans de l’arbitraire, qui rejettent les principes ; car tout ce qui est déterminé, soit dans les faits, soit dans les idées, doit conduire à des principes : et l’arbitraire étant l’absence de tout ce qui est déterminé, tout ce qui n’est pas conforme aux principes est arbitraire.

Ceux-là sont partisans de l’arbitraire, qui disent qu’il y a une distance qu’on ne peut franchir entre la théorie et la pratique ; car tout ce qui peut être précisé étant susceptible de théorie, tout ce qui n’est pas susceptible de théorie est arbitraire.

Ceux-là enfin sont partisans de l’arbitraire, qui, prétendant, avec Burke, que des axiomes métaphysiquement vrais peuvent être politiquement faux, préfèrent à ces axiomes des considérations, des préjugés, des souvenirs, des faiblesses, toutes choses vagues, indéfinissables, ondoyantes, rentrant par conséquent dans le domaine de l’arbitraire.

Ils sont donc nombreux les partisans de cet arbitraire dont le nom seul est détesté : mais c’est que, précisément par le vague de sa nature, on y entre sans s’en apercevoir ; on y reste, en croyant en être bien éloigné, comme le voyageur que le brouillard entoure croit voir ce brouillard encore devant lui.

L’arbitraire, en fait de science, serait la perte de toute science ; car la science, n’étant que le résultat de faits précis et fixes, il n’y aurait plus de science là où il n’y aurait plus rien de fixe ni de précis. Mais, comme les sciences n’ont aucun point de contact avec les intérêts personnels, on n’a jamais songé à y glisser l’arbitraire. Aucun calcul individuel, aucune vue particulière ne réclame contre les principes en géométrie.

L’arbitraire, en fait de morale, serait la perte de toute morale ; car la morale étant un assemblage de règles sur