Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/120

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servira pour émouvoir le peuple eu faveur de victimes peut-être innocentes. La liberté individuelle ? ceux que vous poursuivez s’en prévaudront pour vous échapper. La liberté d’industrie ? elle fournira des ressources aux proscrits. Il faudra donc les gêner toutes, les anéantir également. Les hommes voudraient transiger avec la justice, sortir de son cercle pour un jour, pour un obstacle, et rentrer ensuite dans l’ordre. Ils voudraient la garantie de la règle et le succès de l’exception. La nature s’y oppose ; son système est complet et régulier. Une seule déviation le détruit, comme, dans un calcul arithmétique, l’erreur d’un chiffre ou de mille fausse de même le résultat.

Quand un gouvernement régulier se permet l’emploi de l’arbitraire, il sacrifie le but de son existence aux mesures qu’il prend pour la conserver. Pourquoi veut-on que l’autorité réprime ceux qui attaqueraient nos propriétés, notre liberté ou notre vie ? Pour que ces jouissances nous soient assurées. Mais si notre fortune peut être détruite, notre liberté menacée, notre vie troublée par l’arbitraire, quel bien retirerons-nous de la protection de l’autorité ? Pourquoi veut-on qu’elle punisse ceux qui conspireraient contre la constitution de l’État ? Parce que l’on craint que ces conspirateurs ne substituent une puissance oppressive à une organisation légale et modérée. Mais si l’autorité exerce elle-même cette puissance oppressive, quel avantage conserve-t-elle ? Un avantage de fait, pendant quelque temps peut-être. Les mesures arbitraires d’un gouvernement