Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/13

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du gouvernement présent, dont madame de Staël cherchait à conquérir la confiance ; de quelques échappés du gouvernement passé dont l’aspect déplaisait à leurs successeurs ; de tous les nobles rentrés, qu’elle était à la fois flattée et fâchée de recevoir ; des écrivains qui, depuis le 9 thermidor, avaient repris de l’influence ; et du corps diplomatique, qui était aux pieds du Comité de salut public, en conspirant contre lui. Au milieu des conversations, des actes, des intrigues de ces différentes peuplades, ma naïveté républicaine se trouvait fort embarrassée. Quand je causais avec le parti républicain qui était victorieux, je l’entendais dire qu’il fallait couper la tête aux anarchistes et fusiller les émigrés, à peu près sans jugement ; quand je me rapprochais du petit nombre de terroristes déguisés qui avaient survécu, j’entendais dire qu’il fallait exterminer le nouveau gouvernement, les émigrés et les étrangers ; quand je me laissais séduire par les opinions modérées et doucereuses des écrivains qui prêchaient le retour à la morale et à la justice, on m’insinuait à la deuxième phrase que la France ne pouvait se passer d’un roi, chose qui me choquait singulièrement. Je ne savais donc trop que faire de mon enthousiasme pour la République. »

Cet enthousiasme ne tarda cependant pas à trouver son emploi.

La Convention voulait se maintenir au pouvoir en se renouvelant par tiers, et s’imposer ainsi au pays qui la repoussait. Benjamin Constant combattit cette prétention au nom de la souveraineté du peuple ; dans des articles de journaux qui firent grand bruit, il demanda qu’une nouvelle Assemblée fut constituée par des élections générales. Des écrivains royalistes s’imaginèrent qu’il voulait le renversement de la République ; ils le félicitèrent chaleureusement de son bon esprit ; les femmes le complimentèrent dans les salons, et de tous côtés on le pria de travailler à une restauration monarchique. « Cette invitation, dit-il, me fit sauter en l’air. Je rentrai chez moi, maudissant les salons, les femmes, les journalistes, et tout ce qui ne voulait pas la République, à la vie, à la mort. Je ne savais pas alors qu’il n’y avait, au fond, de républicain en France que moi, et ceux qui craignaient que la royauté ne les fît pendre. » L’année suivante, au mois d’avril 1796,