Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/139

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le légitimer. Le traité des citoyens avec la société est clair et formel. Ils ont promis de respecter ses lois, elle a promis de les leur faire connaître. S’ils restent fidèles à leurs engagements, elle ne peut rien exiger de plus. Ils ont le droit de savoir clairement quelle sera la suite de leurs actions, dont chacune doit être prise à part et jugée d’après un texte précis.

Les ministres ont fait avec la société un autre pacte. Ils ont accepté volontairement, dans l’espoir de la gloire, de la puissance ou de la fortune, des fonctions vastes et compliquées qui forment un tout compact et indivisible. Aucune de leurs actions ministérielles ne peut être prise isolément. Ils ont donc consenti à ce que leur conduite fût jugée dans son ensemble. Or c’est ce que ne peut faire aucune loi précise. De là le pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé sur eux.

Mais il est de l’équité scrupuleuse, il est du devoir strict de la société, d’apporter à l’exercice de ce pouvoir tous les adoucissements que la sûreté de l’État comporte. De là ce tribunal particulier, composé de manière à ce que ses membres soient préservés de toutes les passions populaires. De là cette faculté donnée à ce tribunal de ne prononcer que d’après sa conscience et de choisir ou de mitiger la peine. De là enfin ce recours à la clémence du roi, recours assuré à tous ses sujets, mais plus favorable aux ministres qu’à tout autre, d’après leurs relations personnelles.

Oui : les ministres seront rarement punis. Mais si la constitution est libre et si la nation est énergique, qu’importe la punition d’un ministre, lorsque, frappé d’un jugement solennel, il est rentré dans la classe vulgaire, plus impuissant que le dernier citoyen, puisque la désapprobation l’accompagne et le poursuit ? La liberté n’en a pas moins été préservée de ses attaques, l’esprit