Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/280

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pour l’industrie sont une espèce de jeu. Il est impossible de supposer que l’autorité n’accorde jamais ces secours ou ces encouragements à des hommes qui ne les méritent pas, ou n’en accorde jamais plus que les objets de ces faveurs n’en méritent. Une seule erreur dans ce genre fait des encouragements une loterie. Il suffit d’une seule chance pour introduire le hasard dans tous les calculs, et par conséquent pour les dénaturer : la probabilité de la chance n’y fait rien, car, sur la probabilité, c’est l’imagination qui décide. L’espoir même éloigné, même incertain, de l’assistance de l’autorité jette dans la vie et dans les calculs de l’homme laborieux un élément tout à fait différent du reste de son existence. Sa situation change, ses intérêts se compliquent, son intérêt devient susceptible d’une sorte d’agiotage. Ce n’est plus ce commerçant ou ce manufacturier paisible qui faisait dépendre sa prospérité de la sagesse de ses spéculations, de la bonté de ses produits, de l’approbation de ses concitoyens, fondée sur la régularité de sa conduite, et sur sa prudence reconnue : c’est un homme dont l’intérêt immédiat, dont le désir présent est de s’attirer l’attention de l’autorité. La nature des choses avait, pour le bien de l’espèce humaine, mis une barrière presque insurmontable entre la grande masse de la nation et les dépositaires du pouvoir. Un petit nombre d’hommes seulement était condamné à s’agiter dans la sphère de la puissance, à spéculer sur la faveur, à s’enrichir par la brigue. Le reste suivait tranquillement sa route, ne demandant au gouvernement que de lui garantir son repos et l’exercice de ses facultés ; mais si l’autorité, peu contente de cette fonction salutaire, et se mettant, par des libéralités ou des promesses, en présence de tous les individus, provoque des espérances et crée des passions qui n’existaient pas, tout alors se trouve déplacé. Par