Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/285

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qu’il n’y a rien de plus stupide, de moins éclairé, de plus insouciant, que l’intérêt individuel. Ils nous disent gravement, tantôt que si le gouvernement n’encourage pas l’agriculture, tous les bras se tourneront vers les manufactures, et que les campagnes resteront en friche ; tantôt, que si le gouvernement n’encourage pas les manufactures, tous les bras resteront dans les campagnes, que le produit de la terre sera fort au-dessus des besoins, et que le pays languira sans commerce et sans industrie[1], comme s’il n’était pas clair, d’un côté, que l’agriculture sera toujours en raison des besoins d’un peuple, car il faut que les artisans et les manufacturiers aient de quoi se nourrir ; de l’autre, que les manufactures s’élèveront aussitôt que les produits de la terre seront en quantité suffisante, car l’intérêt individuel poussera les hommes à s’appliquer à des travaux plus lucratifs que la multiplication des denrées, dont la quantité réduirait le prix. Les gouvernements ne peuvent rien changer aux besoins physiques des hommes ; la multiplication et le taux des produits, de quelque espèce qu’ils soient, se conforment toujours aux demandes de ces produits. Il est absurde de croire qu’il ne suffit pas, pour rendre un genre de travail commun, qu’il soit utile à ceux qui s’y livrent. S’il y a plus de bras qu’il n’en faut pour mettre en valeur la fertilité du sol, les habitants tourneront naturellement leur activité vers d’autres branches d’industrie. Ils sentiront, sans que le gouvernement les en avertisse, que la concurrence, passant une certaine ligne, anéantit l’avantage du travail. L’intérêt particulier, sans être encouragé par l’autorité, sera suffisamment excité par ses propres calculs à chercher un genre d’occupation plus

  1. Voir Filangieri et beaucoup d’autres.