Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/297

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était possible. Traverser les colonnes d’Hercule, c’est-à-dire passer le détroit de Gibraltar, était considéré comme l’entreprise la plus hardie. Les Phéniciens et les Carthaginois, les plus habiles des navigateurs, ne l’osèrent que fort tard, et leur exemple resta longtemps sans être imité. À Athènes, dont nous parlerons bientôt, l’intérêt maritime était d’environ soixante pour cent, pendant que l’intérêt ordinaire n’était que de douze, tant l’idée d’une navigation lointaine impliquait celle du danger.

De plus, si je pouvais me livrer à une digression qui malheureusement serait trop longue, je vous montrerais, Messieurs, par le détail des mœurs, des habitudes, du mode de trafiquer des peuples commerçants de l’antiquité avec les autres peuples, que leur commerce même était, pour ainsi dire, imprégné de l’esprit de l’époque, de l’atmosphère de guerre et d’hostilité qui les entourait. Le commerce alors était un accident heureux : c’est aujourd’hui l’état ordinaire, le but unique, la tendance universelle, la vie véritable des nations. Elles veulent le repos ; avec le repos, l’aisance ; et comme source de l’aisance, l’industrie. La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace de remplir leurs vœux. Ses chances n’offrent plus, ni aux individus, ni aux nations, des bénéfices qui égalent les résultats du travail paisible et des échanges réguliers. Chez les anciens, une guerre heureuse ajoutait en esclaves, en tributs, en terres partagées, à la richesse publique et particulière. Chez les modernes, une guerre heureuse coûte infailliblement plus qu’elle ne vaut[1].

Enfin, grâce au commerce, à la religion, aux progrès

  1. Tout ceci est un extrait des premiers chapitres de l’Esprit de Conquête.