Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/302

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orageuse révolution. À Dieu ne plaise que je leur adresse des reproches trop sévères : leur erreur même était excusable. On ne saurait lire les belles pages de l’antiquité, l’on ne se retrace point les actions de ses grands hommes, sans ressentir je ne sais quelle émotion d’un genre particulier, que ne fait éprouver rien de ce qui est moderne. Les vieux éléments d’une nature, antérieure pour ainsi dire à la nôtre, semblent se réveiller en nous à ces souvenirs. Il est difficile de ne pas regretter ces temps où les facultés de l’homme se développaient dans une direction tracée d’avance, mais dans une carrière si vaste, tellement fortes de leurs propres forces, et avec un tel sentiment d’énergie et de dignité ; et lorsqu’on se livre à ces regrets, il est impossible de ne pas vouloir imiter ce qu’on regrette.

Cette impression était profonde, surtout lorsque nous vivions sous des gouvernements abusifs, qui, sans être forts, étaient vexatoires, absurdes en principe, misérables en action ; gouvernements qui avaient pour ressort l’arbitraire, pour but le rapetissement de l’espèce humaine, et que certains hommes osent nous vanter encore aujourd’hui, comme si nous pouvions oublier jamais que nous avons été témoins et victimes de leur obstination, de leur impuissance et de leur renversement. Le but de nos réformateurs fut noble et généreux. Qui d’entre nous n’a pas senti son cœur battre d’espérance à l’entrée de la route qu’ils semblaient ouvrir ? Et malheur encore à présent à qui n’éprouve pas le besoin de déclarer que reconnaître quelques erreurs commises par nos premiers guides, ce n’est pas flétrir leur mémoire, ni désavouer des opinions que les amis de l’humanité ont professées d’âge en âge !

Mais ces hommes avaient puisé plusieurs de leurs théories dans les ouvrages de deux philosophes, qui ne