Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/327

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vu réduit à vendre. S’il a vendu sa créance à vil prix, la faute n’en est pas à l’acheteur qui l’a acquise avec des chances défavorables : la faute en est encore à l’État qui a créé ces chances défavorables, car la créance vendue ne serait pas tombée à vil prix si l’État n’avait pas inspiré la défiance.

En établissant qu’un effet baisse de valeur en passant dans la seconde main à des conditions quelconques, que le gouvernement doit ignorer, puisqu’elles sont des stipulations libres et indépendantes, on fait de la circulation qu’on a regardée toujours comme un moyen de richesse une cause d’appauvrissement. Comment justifier cette politique, qui refuse à ses créanciers ce qu’elle leur doit et décrédite ce qu’elle leur donne ? De quel front les tribunaux condamnent-ils le débiteur, créancier lui-même d’une autorité banqueroutière ? Eh quoi ! traîné dans un cachot, dépouillé de ce qui m’appartenait, parce que je n’ai pu satisfaire aux dettes que j’ai contractées sur la foi publique, je passerai devant la tribune d’où sont émanées les lois spoliatrices : d’un côté siégera le pouvoir qui me dépouille, de l’autre les juges qui me punissent d’avoir été dépouillé.

Tout payement nominal est une banqueroute. Toute émission d’un papier qui ne peut être à volonté converti en numéraire est, dit un auteur français recommandable, une spoliation[1]. Que ceux qui la commettent soient armés du pouvoir public ne change rien à la nature de l’acte. L’autorité qui paye un citoyen en valeurs supposées le force à des payements semblables. Pour ne pas flétrir ses opérations et les rendre impossibles, elle est obligée de légitimer toutes les opérations pareilles.

  1. J.-B. Say, Traité d’Économie politique, t. II, p. 5. Appliquez ceci à la valeur actuelle des billets de banque en Angleterre et réfléchissez.