Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/333

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Tout impôt inutile est une atteinte contre la propriété, d’autant plus odieuse, qu’elle s’exécute avec toute la solennité de la loi, d’autant plus révoltante que c’est le riche qui l’exerce contre le pauvre, l’autorité en armes contre l’individu désarmé.

Tout impôt, de quelque espèce qu’il soit, a toujours une influence plus ou moins fâcheuse[1] : c’est un mal nécessaire ; mais comme tous les maux nécessaires, il faut le rendre le moins grand qu’il est possible. Plus on laisse de moyens à la disposition de l’industrie des particuliers, plus un État prospère. L’impôt, par cela seul qu’il enlève une portion quelconque de ces moyens à cette industrie, est infailliblement nuisible.

Rousseau, qui en finances n’avait aucune lumière, a répété avec beaucoup d’autres que dans les pays monarchiques il fallait consommer par le luxe du prince l’excès du superflu des sujets, parce qu’il valait mieux que cet excédant fut absorbé par le gouvernement que dissipé par les particuliers[2]. On reconnaît dans cette doctrine un mélange absurde de préjugés monarchiques et d’idées républicaines. Le luxe du prince, loin de décourager celui des individus, lui sert d’encouragement et d’exemple. Il ne faut pas croire qu’en les dépouillant, il les réforme. Il peut les précipiter dans la misère, mais il ne peut les retenir dans la simplicité. Seulement la misère des uns se combine avec le luxe de l’autre, et c’est de toutes les combinaisons la plus déplorable.

L’excès des impôts conduit à la subversion de la justice, à la détérioration de la morale, à la destruction de la liberté individuelle. Ni l’autorité qui enlève aux

  1. Voir Smith, liv. V, pour l’application de cette vérité générale à chaque impôt en particulier.
  2. Contrat social, t. III, p. 8.