Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/339

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été bien moins une force militaire qu’un rassemblement anarchique. Nos premiers revers, l’impossibilité que des Français soient longtemps vaincus, la nécessité de soutenir une lutte inouïe dans les fastes de l’histoire, ont réparé les erreurs de l’Assemblée constituante ; mais la force armée est redevenue plus redoutable que jamais.

Une armée de citoyens n’est possible que lorsqu’une nation est renfermée dans d’étroites limites. Alors les soldats de cette nation peuvent être obéissants, et cependant raisonner l’obéissance. Placés au sein de leur pays natal, dans leurs foyers, entre des gouvernants et des gouvernés qu’ils connaissent, leur intelligence entre pour quelque chose dans leur soumission ; mais un vaste empire rend cette hypothèse absolument chimérique. Un vaste empire nécessite dans les soldats une subordination qui en fait des agents passifs et irréfléchis. Aussitôt qu’ils sont déplacés, ils perdent toutes les données antérieures qui pouvaient éclairer leur jugement. Dès qu’une armée se trouve en présence d’inconnus, de quelques éléments qu’elle se compose, elle n’est qu’une force qui peut indifféremment servir ou détruire. Envoyez aux Pyrénées l’habitant du Jura, et celui du Var dans les Vosges, ces hommes, soumis à la discipline qui les isole des naturels du pays, ne verront que leurs chefs, ne connaîtront qu’eux. Citoyens dans le lieu de leur naissance, ils seront des soldats partout ailleurs.

En conséquence, les employer dans l’intérieur d’un pays, c’est exposer ce pays à tous les inconvénients dont une grande force militaire menace la liberté, et c’est ce qui a perdu tant de peuples libres.

Leurs gouvernements ont appliqué au maintien de l’ordre intérieur des principes qui ne conviennent qu’à la défense extérieure. Ramenant dans leur patrie des soldats vainqueurs, auxquels, avec raison, ils avaient