Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/422

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sie, il faudrait qu’il agît sur le reste de la nation dont il réclamerait l’obéissance passive et les sacrifices, de manière à troubler sa raison, à fausser son jugement, à bouleverser toutes ses idées.

Quand un peuple est naturellement belliqueux, l’autorité qui le domine n’a pas besoin de le tromper pour l’entraîner à la guerre. Attila montrait du doigt à ses Huns la partie du monde sur laquelle ils devaient fondre, et ils y couraient, parce qu’Attila n’était que l’organe et le représentant de leur impulsion. Mais de nos jours, la guerre ne procurant aux peuples aucun avantage, et n’étant pour eux qu’une source de privations et de souffrances, l’apologie du système des conquêtes ne pourrait reposer que sur le sophisme et l’imposture.

Tout en s’abandonnant à ses projets gigantesques, le gouvernement n’oserait dire à sa nation : Marchons à la conquête du monde. Elle lui répondrait d’une voix unanime : Nous ne voulons pas la conquête du monde.

Mais il parlerait de l’indépendance nationale, de l’honneur national, de l’arrondissement des frontières, des intérêts commerciaux, des précautions dictées par la prévoyance ; que sais-je encore ? car il est inépuisable, le vocabulaire de l’hypocrisie et de l’injustice.

Il parlerait de l’indépendance nationale, comme si l’indépendance d’une nation était compromise, parce que d’autres nations sont indépendantes.

Il parlerait de l’honneur national, comme si l’honneur national était blessé, parce que d’autres nations conservent leur honneur.

Il alléguerait la nécessité de l’arrondissement des frontières, comme si cette doctrine, une fois admise, ne bannissait pas de la terre tout repos et toute équité. Car c’est toujours en dehors qu’un gouvernement veut ar-