Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments zélés et dociles, éternellement comprimés, à ce qu’ils nous disent, agents infatigables de toutes les tyrannies existantes, dénonciateurs posthumes de toutes les tyrannies renversées.

On nous alléguait, à une époque affreuse, qu’on ne se faisait l’agent des lois injustes que pour en affaiblir la rigueur, que le pouvoir dont on consentait à se rendre le dépositaire aurait fait plus de mal encore, s’il eût été remis à des mains moins pures. Transaction mensongère, qui ouvrait à tous les crimes une carrière sans bornes. Chacun marchandait avec sa conscience, et chaque degré d’injustice trouvait de dignes exécuteurs. Je ne vois pas pourquoi, dans ce système, on ne se rendrait pas le bourreau de l’innocence, sous le prétexte qu’on l’étranglerait plus doucement.

Résumons maintenant les conséquences de nos principes.

La souveraineté du peuple n’est pas illimitée ; elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste. Les représentants d’une nation n’ont pas le droit de faire ce que la nation n’a pas le droit de faire elle-même[1]. Aucun monarque, quelque titre qu’il réclame, soit qu’il s’appuie sur le

  1. Esprit aussi élevé que pratique, Benjamin Constant a toujours protesté contre les pouvoirs qui prétendent ne relever que d’eux-mêmes. « Il y a deux dogmes également dangereux, a-t-il dit dans la séance du 10 mars 1820, l’un le droit divin, l’autre la souveraineté illimitée du peuple ; l’un et l’autre ont fait beaucoup de mal, il n’y a de divin que la divinité, il n’y a de souverain que la justice. » C’est cette sage théorie de la limitation des pouvoirs basée sur l’expérience, qui l’a conduit à demander une double représentation, et à signaler les dangers que présente l’existence d’une chambre unique, toujours entraînée à s’égarer dans ce qu’il appelait l’horrible route de l’omnipotence parlementaire.
    (Note de l’éditeur.)