Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/81

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Que de ruses, que de violences, que de parjures elle nécessite ! Comme il faut invoquer des principes qu’on se prépare à fouler aux pieds, prendre des engagements que l’on veut enfreindre, se jouer de la bonne foi des uns, profiter de la faiblesse des autres, éveiller l’avidité là où elle sommeille, enhardir l’injustice là où elle se cache, la dépravation là où elle est timide : mettre, en un mot, toutes les passions coupables comme en serre chaude, pour que la maturité soit plus rapide, et la moisson plus abondante.

Un monarque arrive noblement au trône ; un usurpateur s’y glisse à travers la boue et le sang, et quand il y prend place, sa robe tachée porte l’empreinte de la carrière qu’il a parcourue.

Croit-on que le succès viendra, de sa baguette magique, le purifier du passé ? Tout au contraire : il ne serait pas corrompu d’avance, que le succès suffirait pour le corrompre.

Si nous parcourons tous les détails de l’administration extérieure et intérieure, partout nous verrons des différences, au désavantage de l’usurpation, et à l’avantage de la monarchie.

Un roi n’a pas besoin de commander ses armées. D’autres peuvent combattre pour lui, tandis que ses vertus pacifiques le rendent cher et respectable à son peuple. L’usurpateur doit être toujours à la tête de ses prétoriens. Il en serait le mépris, s’il n’en était l’idole.

Ceux qui corrompirent les républiques grecques, dit Montesquieu, ne devinrent pas toujours tyrans. C’est qu’ils s’étaient plus attachés à l’éloquence qu’à l’art militaire[1]. Mais dans nos associations nombreuses, l’éloquence est impuissante ; l’usurpation n’a d’autre appui que la force

  1. Esprit des Lois, VIII, i.