Page:Constant - Adolphe.djvu/11

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connaîtrait jamais la grandeur de ses sacrifices. Elle avait joué hardiment sa vie entière sur un coup de dé ; elle avait gagné. Elle avait conquis l’amour d’un homme, elle avait posé sa tête sur son épaule, et dans ses rêves elle avait surpris le murmure de son nom ; elle était fière et glorieuse, et ne soupçonnait pas que la chance pût tourner contre elle.

L’hostilité assidue, la vigilance envieuse de la société qui la désignait du doigt aux railleries et au dédain, n’avaient pas ébranlé son courage. Elle s’était dit : « J’ai fait un serment, je le tiendrai. La religion de la foi jurée n’est pas moins grande et moins sainte que la religion de la prière. Si ma promesse a été imprévoyante, si j’ai follement engagé mon avenir, c’est à Dieu seul qu’il appartient de me relever de mon serment en m’infligeant l’abandon. Si la malédiction paternelle m’a dégradée, me réhabiliterai-je par l’infidélité ? Si l’image menaçante des larmes qui sillonnaient la joue du vieillard vient chaque nuit troubler mon sommeil, est-ce en désertant mon amour que je fléchirai l’ombre indignée ?

« Non, j’irai jusqu’au bout ; je boirai jusqu’au fond cette coupe d’amertume. Je subirai, sans détourner la tête, les affronts et le mépris de