Page:Constant - Adolphe.djvu/196

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triste ; l’amour s’identifie tellement à l’objet aimé que dans son désespoir même il y a quelque charme. Il lutte contre la réalité, contre la destinée ; l’ardeur de son désir le trompe sur ses forces, et l’exalte au milieu de sa douleur. La mienne était morne et solitaire ; je n’espérais point mourir avec Ellénore ; j’allais vivre sans elle dans ce désert du monde, que j’avais souhaité tant de fois de traverser indépendant. J’avais brisé l’être qui m’aimait ; j’avais brisé ce cœur, compagnon du mien, qui avait persisté à se dévouer à moi, dans sa tendresse infatigable ; déjà l’isolement m’atteignait. Ellénore respirait encore, mais je ne pouvais déjà plus lui confier mes pensées ; j’étais déjà seul sur la terre ; je ne vivais plus dans cette atmosphère d’amour qu’elle répandait autour de moi ; l’air que je respirais me paraissait plus rude, les visages des hommes que je rencontrais plus indifférents ; toute la nature semblait me dire que j’allais à jamais cesser d’être aimé.