Aller au contenu

Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pense qu’il faut s’entendre. Si, par la morale d’un ouvrage, on comprend une morale directe, exprimée en toutes lettres, comme celle qui se trouve à la fin des fables de La Fontaine, j’affirme que, dans un ouvrage d’imagination, une pareille morale est un grand défaut. Cette morale devient un but auquel l’auteur sacrifie, même à son insu, la probabilité des événements et la vérité des caractères. Il plie les uns, il fausse les autres pour les faire concourir à ce but. Ses personnages ne sont plus des individus auxquels il obéit, pour ainsi dire, après les avoir créés, parce qu’ils ont reçu de son talent une véritable existence, et qu’il n’en est pas plus le maître qu’il ne serait le maître d’individus doués d’une vie réelle ; ce sont des instruments qu’il refond, qu’il polit, qu’il lime, qu’il corrige sans cesse, et qui perdent par là du naturel, et par conséquent de l’intérêt. La morale d’un ouvrage d’imagination se compose de l’impression que son ensemble laisse dans l’âme : si, lorsqu’on pose le livre, on est plus rempli de sentiments doux, nobles, généreux qu’avant de l’avoir commencé, l’ouvrage est moral, et d’une haute moralité. La morale d’un ouvrage d’imagination ressemble à l’effet de la musique ou de la sculpture. Un homme de génie me disait un jour qu’il se sentait meilleur après avoir contemplé longtemps l’Apollon du Belvédère. Il y a, je l’ai déjà dit ailleurs, mais on ne saurait trop