Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/133

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Ici Mme de Staël donne à l’aristocratie la préférence sur le gouvernement absolu d’un seul. Cette opinion a excité beaucoup de réclamations. Elles tiennent en partie, si je ne me trompe, à une confusion d’époques. Dans un temps de commerce et de lumières, l’aristocratie est certainement plus funeste que le pouvoir absolu d’un seul ; mais c’est que, dans un temps de commerce et de lumières, le pouvoir absolu d’un seul ne saurait exister réellement. Pour le concevoir dans toute sa plénitude et se pénétrer de tout ce qu’il a d’odieux, il faut remonter à des siècles barbares et se transporter dans des pays qui ne soient pas commerçants. Voyez-le dans l’antiquité, en Perse, ou à Rome sous les empereurs ; voyez-le de nos jours à Alger ou au Maroc. Pourrons-nous encore longtemps ajouter à Lisbonne ! Certes, l’aristocratie vaut mieux. Tout en haïssant le sénat romain, je le préfère à Caligula ; et sans aimer l’oligarchie vénitienne, j’aime encore moins le dey d’Alger et ses Maures. Mais dès que les lumières ont fait des progrès, et surtout dès que le commerce existe, le despotisme d’un seul devient impossible. Ce commerce, en donnant à la propriété une qualité nouvelle, la circulation, affranchit les individus, et, en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante. Or, dès que le despotisme pur est impossible, le véritable fléau, c’est l’aristocratie ; et cela