Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/49

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ne fera rien éprouver à votre cœur. Réjouissez-vous d’avoir brisé le mien. Dans trois heures je me serai ôté la possibilité de vous revoir. Je pars avec le regret du passé et l’horreur de l’avenir. Voilà le prix de l’amour le plus abandonné, voilà ce que le vôtre m’a légué. Si vous daignez vous rappeler avec quel art vous m’avez rendu quelque tranquillité hier en me quittant, si vous vous rappelez que vous m’avez calmée me disant : Je vous verrai sans doute demain, mais laissez-moi lui faire mes adieux[1], vous rougiriez, j’espère, du rôle que vous avez joué. Cette lettre, lettre si cruellement insouciante, a dérangé les profonds calculs de votre âme si inflexible. Vous n’avez pas prévu les égarements de la douleur, le désespoir de l’amour trompé ; vous avez jugé de moi d’après les êtres brillants et corrompus qui ont des droits si puissants sur votre vanité ! Je n’ai rien avoué, et le bouleversement de mes traits, les sanglots que je n’ai pu retenir, les mouvements convulsifs qui n’ont cessé de m’agiter depuis la réception de votre lettre, ont donné tous les éclaircissements suffisants pour qu’un esclandre en ait été le résultat. Quelles douleurs vous avez accumulées dans mon cœur ! à quels affreux efforts vous m’avez condamnée ! c’est moi qui vous fuis : je n’ai

  1. A Mme de Staël.