Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/21

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Quatre cent mille égoïstes, bien exercés, bien armés, sauroient que leur destination est de donner ou de recevoir la mort. Ils auroient supputé qu’il valoit mieux se résigner à cette destination que s’y dérober, parce que la tyrannie qui les y condamne est plus forte qu’eux. Ils auroient, pour se consoler, tourné leurs regards vers la récompense qui leur est promise, la dépouille de ceux contre lesquels on les mène. Ils marcheroient en conséquence, avec la résolution de tirer de leurs propres forces le meilleur parti qu’il leur sèroit possible. Ils n’auroient ni pitié pour les vaincus, ni respect pour les foibles, parce que les vaincus étant, pour leur malheur, propriétaires de quelque chose, ne paroîtroient à ces vainqueurs qu’un obstacle entre eux et le but proposé. Le calcul auroit tué dans leur âme toutes les émotions naturelles, excepté celles qui naissent de la sensualité. Ils seroient encore émus à la vue d’une femme. Ils ne le seroient pas à la vue d’un vieillard ou d’un enfant. Ce qu’ils auroient de connoissances pratiques leur serviroit à mieux rédiger leurs arrêts de massacre ou de spoliation. L’habitude des formes légales donneroit à leurs injustices l’impassibilité de la loi. L’habitude des formes sociales répandroit sur leurs cruautés un vernis d’insouciance et de légèreté qu’ils croiroient de l’élégance. Ils parcourroient ainsi le