Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/35

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elle-même, dont les élémens se combattent, et dont l’exécution, ne reposant que sur la spoliation des plus foibles, rend illégitime la possession des plus forts.

Ce gouvernement invoqueroit les intérêts du commerce, comme si c’étoit servir le commerce que dépeupler un pays de sa jeunesse la plus florissante, arracher les bras les plus nécessaires à l’agriculture, aux manufactures, à l’industrie[1], élever entre les autres peuples et soi des barrières arrosées de sang. Le commerce s’appuie sur la bonne intelligence des nations entr’elles ; il ne se soutient que par la justice ; il se fonde sur l’égalité ; il prospère dans le repos ; et ce seroit pour l’intérêt du commerce qu’un gouvernement rallumeroit sans cesse des guerres acharnées, qu’il appelleroit sur la tête de son peuple une haine universelle, qu’il marcheroit d’injustice en injustice, qu’il ébranleroit chaque jour le crédit par des violences, qu’il ne voudroit point tolérer d’égaux.

Sous le prétexte des précautions dictées par la prévoyance, ce gouvernement attaqueroit ses voisins les plus paisibles, ses plus humbles alliés, en leur supposant des projets hostiles, et comme devançant des agressions

  1. La guerre coûte plus que ses frais, dit un écrivain judicieux : elle coûte tout ce qu’elle empêche de gagner. SAY Econ. polit. V 8.