Page:Constant - Le Cahier rouge, éd. Constant de Rebecque.djvu/41

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s’élevait, l’originalité de mon caractère, tout cela parut piquant. Je fus fêté par toutes les femmes de la coterie de madame Suard, et les hommes pardonnèrent à mon âge une impertinence qui, n’étant pas dans les manières, mais dans les jugements, était moins aperçue et moins offensante. Cependant quand je me souviens de ce que je disais alors et du dédain raisonné que je témoignais à tout le monde, je suis encore à concevoir comment on a pu le tolérer. Je me rappelle qu’un jour, rencontrant un des hommes de notre société qui avait trente ans de plus que moi, je me mis à causer avec lui, et ma conversation roula comme à l’ordinaire sur les ridicules de tous ceux que nous voyions tous les jours. Après m’être bien moqué de chacun l’un après l’autre, je pris tout à coup celui avec lequel j’avais causé, par la main, et je lui dis :

— Je vous ai bien fait rire aux dépens de tous nos amis, mais n’allez pas croire que, parce que je me suis moqué d’eux avec vous, je sois tenu âne pas me moquer de vous avec eux ; je vous avertis que nous n’avons point fait ce traité.

Le jeu qui m’avait déjà causé tant de peines,