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personnage de Dorante, le chasseur infatigable. « Voilà, aurait dit Louis XIV à Molière, en voyant passer le marquis de Soyecourt, un grand original que vous n’avez pas encore copié ! » le grand roi ayant ainsi ouvert les idées au poète, celui-ci s’empressa d’aller trouver le marquis, l’amena à parler de chasse à courre, ce qui n’était pas difficile, et prit ainsi sur le vif le portrait si curieux du chasseur Dorante. Nous ne rappelons cette anecdote que pour mémoire, et pour constater surtout que c’est à Fontainebleau, à la seconde représentation des Fâcheux, qu’apparaît pour la première fois sur la scène ce nouveau personnage, décrit par Molière avec une verve si mordante, et dont le récit si vif, si animé, d’un tour si naturel et si pittoresque, n’a d’égal que celui d’Alcippe, contant à Éraste sa fameuse partie de piquet.

La représentation des Fâcheux fut, pour ainsi dire, l’événement théâtral du voyage de la cour à Fontainebleau durant la belle saison de l’année 1661 ; le répertoire ordinaire des comédiens de la troupe de Monsieur alimenta sans doute les autres soirées dramatiques jusqu’en novembre, époque à laquelle les brouillards et les pluies d’automne ramenèrent Louis XIV à Paris, et le contraignirent à quitter sa résidence d’été ; car, comme le dit fort justement Loret,

Le plus riant pays de France
Ne l’est plus quand l’hiver s’avance[1].

Au printemps de l’année 1664, Louis XIV est au plus beau moment de son règne ; nulle partie de l’administration intérieure n’était négligée, dit l’auteur du Siècle de Louis XIV, son gouvernement était respecté au dehors… Il était beau, après cela, de donner des fêtes !

Versailles venait en effet d’être, pendant sept jours (du 7 au 14 mai 1664), le théâtre des Plaisirs de l’île enchantée. Ces fêtes, « si agréables et si diversifiées, » offertes surtout à mademoiselle de

  1. Nous trouvons dans la Collection Colbert (vol. 264, fol. 11), le montant des dépenses occasionnées par suite des séjours de la troupe de Molière à Fontainebleau. Nous y lisons la mention suivante : « 15,428 livres pour la représentation « de l’Escole des Maris et des Fâcheux ; décorations, baladins, danseurs, nourriture et récompense des comédiens. » C’était là une dépense importante pour l’époque, et qui prouve avec quels soins et quel luxe les soirées dramatiques dont nous parlons étaient organisées.