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soldats de Scipion, qui s’en étaient emparés de nuit par surprise, n’osèrent pas continuer leur attaque. La muraille de défense s’étendait également le long du rivage, où l’on a retrouvé les restes ensablés de quais gigantesques. Tout à fait au midi, et presque à la naissance du cordon littoral qui sépare le lac de Tunis de la mer, et que les anciens appelaient la ligule ou le tænia, étaient creusés les ports de Carthage. Il y en avait deux : le Cothon, ou port militaire, et, immédiatement au sud, le port de commerce. De forme circulaire, le premier avait à son milieu une île également circulaire, où s’élevait le palais du chef de la flotte. Les fouilles de Beulé en ont mis au jour les quais, larges de 9 mètres 35 centimètres ; elles ont permis de constater que le pourtour du Cothon était de 333 mètres. Le port militaire communiquait par un goulet de 23 mètres de largeur avec le port marchand, bassin rectangulaire qui mesurait 456 mètres sur 325. Ce sont là des dimensions bien modestes, si on les compare à celles des établissements maritimes actuels, mais on ne doit pas oublier que les navires de l’antiquité n’avaient pas la grandeur des nôtres ; d’ailleurs il a été établi qu’une partie de la flotte punique s’abritait dans le Bahira. Aujourd’hui fort ensablés, les ports de Carthage ont cependant conservé leur forme, et renferment toujours de l’eau.

On est parvenu à déterminer avec une exactitude suffisante l’attribution des principales ruines. La belle carte publiée en 1877 par M. Ph. Caillat signale et dénomme quantité de temples, de basiliques, de bains, de palais, de théâtres ; on y voit même figurer la maison d’Annibal et le palais de Didon. Tels sont du moins les noms assignés à certains emplacements. La tâche était d’ailleurs fort délicate, la plupart des monuments n’ayant laissé que des traces presque méconnaissables. Romains, Vandales, Arabes et Chrétiens se sont acharnés sur la malheureuse cité, qui ne sortait de ses ruines que pour succomber de nouveau. Prise et livrée aux flammes par Scipion Emilien en l’an 140, elle se releva plus tard, et devint la ville la plus importante de l’Afrique romaine. Son atelier répandait avec profusion les monnaies de l’époque. Les Vandales la saccagèrent en 439 ; Bélisaire la reprit, et finalement les Arabes la détruisirent de fond en comble en 698. Pendant des siècles Carthage fut exploitée comme une carrière ; elle a fourni les matériaux employés à la construction de Tunis et de beaucoup d’autres villes ; ses marbres furent transportés à Rome, à Gênes, à Pise et jusqu’à Constantinople, et dans ces derniers temps un Anglais, sir Thomas Read, renouvelant les exploits de lord Elgin à Athènes, expédia dans son pays les colonnes de la basilique du roi vandale Trasamond. De la cité punique il ne reste plus rien à la surface ; tout ce qu’on voit à découvert date de l’époque romaine. Mais la masse des débris est immense. Les tranchées pratiquées en 1881 par MM. Babelon et Reinach entre l’acropole et la mer, ont montré qu’ils recouvrent le sol vierge d’une couche de 5 à 8 mètres d’épaisseur. Carthage n’est plus aujourd’hui qu’un vaste