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suivre le conseil de Félix et de gagner la grande route, qui est à peu de distance à notre droite, je commande un détour sur la gauche pour nous rapprocher du rivage, où il y a de petites dunes sablonneuses dont je veux examiner la végétation. Ici encore tout est desséché, à part quelques pieds en fructification du Pancratium maritimum, belle amaryllidée aux longues fleurs blanches qui exhalent le parfum du narcisse, à part également des touffes d’Ambrosia, dont l’odeur forte et capiteuse n’a rien de bien agréable pour les nez de simples mortels. La chaleur est grande, et la soif à l’avenant. En continuant à marcher dans le sable de la plage, nous finissons par arriver à l’hôpital militaire et à une misérable cantine en planches, tenue par une pauvre vieille femme qui pleure encore son mari, mort récemment d’insolation — et d’absinthe, me dit à l’oreille mon gamin. Cela ne nous empêche pas d’en demander. Qu’il soit permis à quelqu’un qui n’en a jamais bu d’essayer de réhabiliter cet affreux breuvage, dont les victimes sont si nombreuses en Algérie et même en France. Je n’hésite pas à le déclarer : dans les pays méridionaux, où l’on éprouve fréquemment le besoin de se désaltérer, aucune boisson n’est plus agréable et plus rafraîchissante qu’un verre d’eau glacée un peu sucrée, dans laquelle ou laisse tomber quelques gouttes d’absinthe, juste assez pour rendre le liquide un peu louche. Le difficile, c’est de savoir s’arrêter à temps. À la grande satisfaction de Félix, nous rejoignons enfin la grande route, qui passe devant le palais de Khérédine et mène droit à la Goulette, où nous arrivons vers deux heures ; un train du soir nous réintègre à Tunis.

Mais je tenais à voir les collections du père Delattre et à faire sa connaissance personnelle. En réponse à une lettre que je lui adressai, il eut l’obligeance de m’assigner un rendez-vous à Carthage, où je retournai quelques jours après, en compagnie d’un jeune ingénieur, M. Fr. A., mon compagnon de traversée. Notre visite se borna aux principales ruines et au musée, qui occupe une grande salle au rez-de-chaussée du couvent. On y a rassemblé les objets les plus précieux exhumés par les fouilles récentes : fresques, mosaïques, inscriptions, sculptures, bustes, statues et statuettes, objets en verre et en métal, bijoux, monnaies, etc., tous provenant du site même de Carthage. Les lampes, en particulier, sont excessivement nombreuses, surtout celles de l’époque chrétienne ; il y en a également de fort intéressantes de l’époque phénicienne, dont les plus anciennes consistent en une simple lame d’argile relevée sur les bords et pliée de manière à former un godet pour l’huile et deux petits canaux pour les mèches. Cette collection spéciale est peut-être la plus belle et la plus complète qui existe. Le père Delattre nous conduit ensuite au tombeau phénicien et au chantier de la future cathédrale, d’où l’on a extrait, depuis mon premier voyage, plusieurs chapiteaux et un grand fût de colonne en marbre ; enfin, au moment du départ, il me remet un beau plan de Carthage et plusieurs