Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/468

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était capable de bouleverser le royaume. La hardiesse de Fortuné demandait une punition exemplaire ; tout le monde savait déjà ce qui venait de se passer, et il devait se porter lui-même à venger sa sœur. Mais, hélas ! sur qui cette vengeance devait-elle être exercée ? sur un chevalier qui s’était exposé aux plus grands périls pour son service, il était redevable de tous ses trésors, qu’il aimait d’une inclination particulière : il aurait donné la moitié de sa vie pour sauver ce cher Favori. Il représenta à la reine l’utilité dont il lui était, les services qu’il avait rendus à l’état, sa jeunesse, et toutes les choses qui pouvaient l’engager à lui pardonner. Elle ne voulut pas l’entendre, elle demandait sa mort. Le roi ne pouvant donc plus éviter de lui donner des juges, nomma ceux qu’il crut les plus doux et les plus susceptibles de tendresse, afin qu’ils fussent plus disposés à tolérer cette faute.

Mais il se trompa dans ses conjectures ; les juges voulurent rétablir leur réputation aux dépens de ce pauvre malheureux : et comme c’était une affaire de grand éclat, ils s’armèrent de la dernière rigueur, et condamnèrent Fortuné sans daigner l’entendre. Son arrêt portait trois coups de poignards dans le cœur parce que c’était son cœur qui était coupable. Le roi craignait autant cet arrêt que s’il avait dû être prononcé contre lui-même ; il exila tous les juges qui l’avaient donné, mais il ne pouvait sauver son aimable Fortuné, et la reine triomphait du supplice qu’il allait souffrir ; ses yeux avérés de sang demandaient celui de cet illustre affligé. Le roi fit de nouvelles tentatives auprès d’elle, qui ne servirent qu’à l’aigrir. Enfin le jour marqué pour cette terrible exécution arriva. L’on vint retirer le chevalier de la prison où il avait été mis et où il était demeuré sans que personne au monde lui eut parlé ; il ne savait point le crime dont la reine l’accusait, s’imaginant seulement que c’était quelque nouvelle persécution que son indifférence lui attirait ; et ce qui lui faisait le plus de peine, c’est qu’il croyait que le roi secondait les fureurs de cette princesse.

Floride, inconsolable de l’état où l’on réduisait son amant, prit une résolution de la dernière violence ; c’était d’empoisonner la reine, et de s’empoisonner elle-même s’il fallait que Fortuné éprouvât la rigueur d’une mort cruelle. Dès qu’elle en sut l’arrêt, le désespoir saisit son âme, elle ne pensa plus qu’à exécuter ses desseins ; mais on lui apporta