Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/151

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accuser ma conduite. Qu’est-ce donc que la renommée, si l’on peut déshonorer ainsi un homme aux yeux de ses meilleurs amis ? Mais écartons ces réflexions puériles ; elles sont indignes de moi, de mon devoir, et de la cause sacrée que j’ai embrassée.

— Non, John, ne les écartez pas, dit vivement Alix en lui appuyant la main sur le bras ; elles sont pour vous ce qu’est la rosée pour l’herbe desséchée. Elles peuvent reproduire les sentiments de votre première jeunesse, et adoucir le cœur égaré moins par son penchant naturel que par la faiblesse avec laquelle il s’est laissé entraîner par les circonstances.

— Alix, dit le pilote en la regardant avec un air grave et solennel, j’ai appris cette nuit bien des choses que je ne venais pas ici pour apprendre. Vous m’avez fait voir combien est puissant le souffle du calomniateur, combien est faible la voix d’une bonne renommée. Vingt fois j’ai combattu ouvertement les satellites soudoyés de votre prince, toujours sous le pavillon que j’ai le premier arboré de mes propres mains ; et je rends grâce à Dieu de ce que je ne l’ai jamais vu baisser d’un pouce ; je n’ai pas à me reprocher un acte de lâcheté, pas un trait d’injustice envers un seul particulier, pendant tout le temps que j’ai porté les armes ; et cependant comment en suis-je récompensé ? La langue du vil calomniateur est plus meurtrière que l’épée du guerrier, et elle fait des blessures plus difficiles à guérir.

— Vous n’avez jamais parlé avec plus de vérité, John, et puisse Dieu vous envoyer souvent des pensées qui peuvent être si utiles pour votre salut éternel ! Vous dites que vous avez risqué, votre vie dans vingt occasions ; voyez donc combien le ciel se montre peu favorable aux fauteurs de la rébellion ! On dit que le monde n’a jamais vu un combat plus désespéré, plus sanglant que le dernier que vous avez livré, et qui a fait retentir votre nom d’un bout à l’autre de cette île.

— Et ce bruit arrivera partout où l’on sait ce que c’est qu’un combat naval, dit le pilote ; et la mélancolie qui commençait à rembrunir son front fit place à un air de fierté et de triomphe.

— Et cependant cette gloire imaginaire n’atténue en rien la tache odieuse de votre nom. Le vaincu a reçu même en ce monde des récompenses plus flatteuses que le vainqueur. Savez-vous quelles faveurs notre gracieux souverain a accordées à l’ennemi que vous avez défait ?