Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/150

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— Alix, vos discours insensés me feront perdre la raison ! Suis-je un monstre dont le nom doive effrayer les femmes faibles, les enfants sans appui ? Que signifient toutes les épithètes dont vous m’accablez ? Avez-vous aussi prêté l’oreille aux viles calomnies auxquelles a toujours recours la politique des hommes qui vous gouvernent contre ceux qui les attaquent, quand surtout ils les attaquent avec succès ? Mon nom peut être terrible aux officiers de la flotte du roi d’Angleterre ; mais où, quand, comment a-t-il mérité de le devenir aux habitants paisibles des côtes ?

Alix jeta sur le pilote un regard furtif et timide qui semblait en dire encore plus que ses paroles.

— Je ne sais si tout ce qu’on dit de vous et de vos actions est vrai, lui répondit-elle. Bien des fois j’ai prié, dans l’amertume de mon cœur, que vous n’ayez pas à répondre, au dernier jour, de la dixième partie de tout ce dont on vous accuse. Mais je vous connais bien, John ; je vous connais depuis longtemps, et à Dieu ne plaise qu’en cette occasion solennelle, dans une entrevue qui sera peut-être notre dernière en ce monde, la faiblesse d’une femme me fasse oublier les devoirs d’une chrétienne ! J’ai souvent pensé que ceux qui vomissaient contre vous avec tant d’amertume des reproches inspirés par la haine, ne vous connaissaient guère. Mais quoique vous soyez quelquefois, je pourrais dire presque toujours, aussi calme, aussi tranquille que la mer sur laquelle vous avez toujours navigué, quand elle n’est pas troublée par les vents, cependant la nature vous a donné des passions violentes qui, lorsqu’elles s’éveillent, sont aussi terribles que l’Océan méridional quand une tourmente en soulève les eaux. Il me serait difficile de dire jusqu’où ce mauvais esprit peut conduire un homme à qui des injures imaginaires ont fait oublier sa patrie, et qui se trouve tout à coup armé du pouvoir de se venger.

Le pilote l’écoutait avec une profonde attention, et ses yeux perçants semblaient vouloir pénétrer jusque dans la source même des pensées qu’elle n’exprimait qu’à demi. Il conserva pourtant son empire sur lui-même, et lui répondit d’un ton qui annonçait plus de chagrin que de courroux :

— Si quelque chose pouvait me convertir à vos opinions pacifiques, Alix, ce serait la conviction que je viens d’acquérir que vous-même vous vous êtes laissé entraîner par les calomnies de mes lâches ennemis, jusqu’à douter de mon honneur, jusqu’à